[Je te souviens]

[Je te souviens] est une plongée dans nos mémoires qui pioche parmi les 270 Souviens-moi d’Yves Pagès (Éditions de l’Olivier, 2014) et les quelques 1500 I Remember de Joe Brainard (écrits entre 1970 et 1975, publié chez Actes Sud en 2002, réédition en 2015). Yves Pagès salue Georges Perec, qui s’est lui-même inspiré du leimotiv de Brainard lorsqu’il écrit ses Je me souviens. Une somme de fragments à l’humour poétique, deux œuvres qui se font écho, et dessinent en creux, entre intimité et représentation collective, un paysage réjouissant de notre époque contemporaine.

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ZOO

ZOO se situe dans une zone inconnue, entre le bestiaire et la recherche éthologiste. C'est un bestiaire au sens médiéval, de recueil de fables et de moralités mettant en scène des bêtes réelles et imaginaires ; c'est une étude d’éthologie en ce qu'elle s’intéresse aux comportements des animaux, sans exclure l’humain. Dans ces entrelacs se dessine délicatement une réflexion sur le langage, de ses vertus émancipatrices à sa potentielle récupération totalitaire.

Dans ZOO, les artistes concentrent leur attention sur la question de l’apprentissage de la parole comme levier d’émancipation individuelle et sociétale. Toutes les bêtes de La Ferme des animaux transcendent leur condition en apprenant à lire et à écrire, se promettant ainsi collectivement un avenir radieux.

Le vocabulaire, la syntaxe, la grammaire et les moyens de transcription apparaissent comme les outils fondamentaux de la libération. Toutefois, s’ils en sont les conditions sine qua non, ils n’en constituent pas pour autant la garantie. Un outil peut connaître divers emplois et servir à d’autres fins que celles initialement prévues par ses concepteurs.

Portée par la création musicale d'Alva Noto, frôlant le fantastique grâce aux costumes signés Coco Petitpierre, la pièce rassemble l’humain dans l’unité de son langage corporel et intellectuel, depuis l’harmonie du geste et de la lettre, du mouvement et de l’écriture, jusqu’à leur dissociation tragique dans une danse et un texte cohérent, et pourtant porteurs d’un sens inhumain.

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À mon seul désir

À MON SEUL DÉSIR - GAËLLE BOURGES / ASSOCIATION OS                 

La Dame à la licorne, célèbre tapisserie, en six panneaux, accrochée au Musée de Cluny, dépeint une jeune femme accompagnée de près par une licorne, dans un jardin foisonnant de fleurs et d’animaux. Allégorie des cinq sens, et d’un sixième, bien mystérieux... Tout est possible dans les entrelacs d'interprétations. Il y a indéniablement une clé de voûte dans cet étrange dernier tableau. Certains la cherchent en allant le voir et le revoir.
Sous les masques figurant ces animaux, quatre danseuses tissent et détissent, délient, écartent, et recomposent la fresque, traquant cette clé à pas de danse, cette « image dans le tapis ». L'exactitude du geste et la démultiplication des mouvements ouvrent tous les horizons d'une réflexion sur les représentations de la virginité, questionnant ici la licorne - être paradoxal, ne se laissant approcher que par de jeunes vierges, tout en exhibant sa corne, sujet à controverse, indice d'une sauvagerie latente - ; là, la présence d’une trentaine de lapins. Alentour, les déambulations énigmatiques d'un chien, d'un renard ou d'un singe ravivent également des valeurs moins pieuses qu'elles n'y paraissent. Ainsi rugit le volcan de symboles animaliers du Moyen Âge, au soufre acide et à la lave poétique.
Continuité d'un travail à la croisée, depuis son premier opus Homothétie 949, entre connivences picturales et interrogations sur les nus dans l’art occidental, A mon seul désir est d'une splendeur dansée qui mérite, après son éclair au Festival d'Avignon 2015, d'être redonné à voir à Paris.

En coréalisation avec JUNE EVENTS, le festival de l'Atelier de Paris / Centre de développement chorégraphique national

Le Carreau du Temple et l'Atelier de Paris / CDCN recherchent pour ce spectacle une trentaine de volontaires pour participer au bestiaire de la tapisserie du XVème siècle La Dame à la licorne dont s’inspire sa pièce chorégraphique,
A mon seul désir.

Participation au final animalier de la pièce, qui dure quinze minutes.
Aucune expérience de danse ou de scène requise. Réservé aux personnes de plus de 18 ans.
Informations et inscriptions : mediation@carreaudutemple.org / 01 83 81 93 30


 

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Undated 

Ce n'est pas un hasard si les mêmes interprètes se retrouvent souvent dans le répertoire de Martine Pisani, puisqu’elle fait de la vie sur le plateau le matériau premier de ses pièces. En pleine lumière, ce sont toujours des personnes aux présences simples, sans écran, qui jouent des distances entre elles, en un jeu au sens aussi mécanique que ludique. Au fil de ses réalisations, la chorégraphe a inventé un monde, un théâtre dansé sans artifice, où tout est à vue, drainant un goût du "presque rien" et un amour fou de la dérision, travaillant les pleins et les vides, les apparitions et disparitions, et s’adressant au spectateur d’égal à égal.

Il y avait donc matière à penser que cette création charpentée de morceaux choisis de ses anciennes pièces donnerait le meilleur de son univers, de son humour à rebours de l'académisme. Il était même fondé d'attendre de l'inattendu. Mais il était difficile d'imaginer qu'une forme si prospective pourrait fleurir de motifs rétrospectifs, bien loin du best of ou du pot pourri. D'abord s'installe une bizarrerie dans un chaos truffé de gestes sans moteur et de chutes sans cause, une extrême promiscuité des danseurs dont les mouvements ne se répondent pourtant pas, décalages hilarants. Alors que la bande-son nous offre une ritournelle enjouée et insipide, du type jeu télévisuel des année 90, ce sont nos solitudes juxtaposées que miroitent les danseurs, simples touches de couleurs accolées sur le plateau. Puis le bug d'un corps qui n'arrive plus à se déplacer, les courses folles, d'incongrues postures penchées, le déplacement irraisonné d'une paire de baskets ou d'un balai comme seuls accessoires, cette (fausse) anarchie, cette dégénérescence au sens propre, lèvent le voile sur la non-maîtrise de ce que nous voudrions contrôler, notamment nos corps. Un spectacle sensible, intelligent et drôle.

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SONGLINES

SUR UNE MUSIQUE DE TERRY RILEY - Danse

La scénographie épurée - un cercle de miroir posé à même le simple tapis de danse rose poudré, à l'horizontale, comme un étang, sur lequel joue une douche de lumière au travers de filets métalliques suspendus - met en valeur les corps des huit danseurs entre les deux strates. Entre ciel et terre.

Songlines saisit le mouvement fondateur qu’est la marche, ce stade où l’esprit, le corps et le monde tendent à la fusion, en cristallisant son canevas dans l'emblématique composition musicale In C de Terry Riley. Considérée comme la première œuvre du courant de la musique minimaliste ou répétitive, créée en 1964 pour 35 instrumentistes à San Francisco, la partition présentait un concept inédit : exclusivement construite de 53 phrases musicales tenant en une page, les musiciens devaient en jouer chaque motif, tout en étant libres de le répéter autant qu'ils le souhaitaient, avant de passer au suivant. Un véritable joyau pour un travail sur la marche... La marche compose, la marche écrit, la marche unit, elle brode un lien indéfectible avec l’environnement. Quels totems contemporains se dressent en résonance aux pas d’aujourd’hui ? Joanne Leighton invente une migration des gestes et des espaces, qui éveille, suggère, égraine des significations dans cet ici et maintenant qu’est aussi un plateau de danse, c’est-à-dire beaucoup plus que la matérialité plane d'une scène.

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Chambre noire

Chambre noire est une hallucination sauvage autour de la vie de Valérie Jean Solanas (1936-1988), la plus belle enfant de toute l’Amérique, la psychologue de génie qui a passé sa vie à séjourner dans des instituts pour malades mentaux, la première « pute intellectuelle », l’auteure du SCUM Manifesto, manifeste féministe radical autoédité en 1967, la femme qui a tenté d'assassiner Andy Warhol.

Dans un écrin sombre et clinique traversé de néons évoquant les nuits grunge new-yorkaises, se joue un duo entre une marionnettiste, Yngvild Aspeli, et une musicienne, Ane Marthe Sørlien Holen. Avec une grande intelligence dramaturgique, elles composent un univers ensorcelant, mêlé de marionnettes à taille humaine, de projections vidéos et de percussions magnétiques. Un désert de solitude se dessine au travers de ce personnage complexe, pluriel, outrancier et absolument humain.

Si l'art marionnettique a conquis sa place aux premières loges du théâtre contemporain, c'est grâce à des explorations de cette envergure, de celles qui transgressent les frontières entre les matières, qui osent pulvériser l'opposition entre le vivant et l'inerte pour inventer une identité visuelle mettant à profit tout le spectre de l'« inquiétante étrangeté » qu'offre l'objet inanimé lorsqu'il est soudain manipulé par des experts. Onirique, érotique, dérangeant, fantastique, le spectacle déploie l'immense nuancier de la fureur émotionnelle que peut convoquer le théâtre d'objets.

D'un souffle rageur, ravivant le personnage de Valérie Solanas jusque dans ses méandres les plus intimes, Chambre Noire en révèle les deux visages, démentiel mais aussi visionnaire, inexorablement liés. C'est aussi l’oppression qui est donnée à voir, ainsi qu'une révolte, et les formes qu’elles ont pu revêtir ces dernières années. Une œuvre complète et singulière, à découvrir.

Le Mouffetard - Théâtre des arts de la marionnette œuvre pour la promotion des formes contemporaines des arts de la marionnette. Le partenariat entre les deux structures se poursuit en mai 2019 lors du Second Square consacré au théâtre d'objet dans le cadre de la 10ème Biennale internationale des arts de la marionnette.

En parrallèle du spectacle et dans le cadre de Second Square Imag(in)é 
Atelier manipulation - Marionnettes à taille humaine
Samedi 27 et dimanche 28 octobre, de 17h à 18h30, adultes, 5€ sur inscription

Un atelier de manipulation de marionnettes à taille humaine autour du spectacle Chambre noire*de Yngvild Aspeli de la compagnie Plexus Polaire, en représentation du 12 au 15 décembre au Carreau du Temple. Marionnettes humaines, animales, êtres hybrides crées par la compagnie… autant d’êtres étranges à manipuler, sous les conseils et la conduite de Pascale Blaison, manipulatrice et constructrice de marionnettes pour Chambre Noire, ainsi qu’intervenante à l’Ecole Supérieure des Arts de la Marionnette à Charleville-Mézières.

*Le tarif réduit sur le spectacle est accordé aux participants de l'atelier.
Un atelier proposé par Pascale Blaison, en partenariat avec Le Mouffetard - théâtre des arts de la marionnette.

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Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute.

Convoquant douze femmes sur scène, aussi adroites dans le jeu footballistique que dans le jeu de comédiennes, la metteure en scène et actrice invente une performance complètement atypique pour porter un texte personnel sans concession. En crampons et maillots, elles affirment leur légitimité à fouler cette pelouse majoritairement réservée aux hommes, y risquant une histoire politique des corps, des identités, et des libertés de choix. Tour à tour spectatrice, coach et nourrice, Rébecca Chaillon conduit ses joueuses vers une zone étrange où la violence des discriminations se cogne à la puissance de l'équipe.

En écho, il y a un texte donné à lire en fond de scène, avant d'être parlé et incarné. En vis-à-vis sont évoquées règles sociales et règles menstruelles. Il fallait oser. En tête à tête, du gradin au stade, se frottent la solitude du spectateur et la collectivité sportive qui s'active, animée par « l'esprit de groupe » (utopie ou naïveté ?). 

En contraste, le carton gras des pizze et les cannettes de bière englouties à la chaîne se révoltent contre le papier glacé des magazines rayonnant de femmes longilignes.

En dégradé, Rébecca nous en fait voir de toutes les couleurs, sans oublier le bleu-blanc-rouge, en toute ironie, bien sûr. En volte-face, elle nous la joue à l'envers pour la jouer encore plus vrai : qui joue ? Qui dirige ? Qui est actif et qui est passif ? Seule dans les gradins, d'abord impassible, muette, c'est pourtant bien elle qui mène cet incroyable ballet de femmes.

En perspective, de la difficulté d'être une femme, ne serait-ce que cela, d'être homosexuelle, noire, ronde... Telles sont les questions qui labourent la terre dont l'odeur envahit la salle, effluves d'humour et de cynisme, de panache et de lucidité.

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La spire 

La spire est un terme inventé par la chorégraphe aérienne pour nommer la spirale en filin d’acier de 6.5 mètres de hauteur et 18 de longueur, en trois boucles, qu'elle a pensée comme une structure-sculpture à la fois vaporeuse et monumentale. Dans Horizon, sa création précédente, Chloé Moglia explorait en solo la décomposition du mouvement au bout courbe, comme un oiseau au sommet d'une tige de roseau. Aujourd'hui, avec La Spire, cinq interprètes féminines suspendues et une musicienne, Marielle Chatain, invitent le public à suivre le fil d'une extraordinaire ascension ; ici, c'est indéniablement la suspension qui intéresse en premier lieu Chloé Moglia.

Or l'artiste aime à dire : "J'associe la suspension à la question". De fait, ce n'est pas seulement l'impressionnante performance technique qui est donnée à voir, mais c'est aussi l'interrogation sur les ressorts cachés d’une puissance invisible qu'il est proposé de deviner. A priori, puissance et ténacité ne riment pas avec sensualité et sensibilité. Avec cette pièce à multiples strates, Chloé Moglia parvient pourtant à débusquer cette harmonisation, en un endroit secret, tout près du cœur de l'agilité, et à la rendre palpable aux enfants comme aux adultes, aux férus de spectacles comme aux passants. Un enchantement.

À l'issue du spectacle, des ateliers de pratique seront initié par les suspensives, ainsi que des ateliers, découvertes graphiques autour du thème du fil, animés par la Gaité Lyrique.

Une performance inédite de Chloé Moglia et Marielle Chatain à 17h clôturera la journée.

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Je rentre dans le droit chemin

Nom complet du spectacle : Je rentre dans le droit chemin (qui comme tu le sais n'existe pas et qui par ailleurs n'est pas droit)

Pourquoi, quand et comment la nudité a-t-elle un sens sur scène ? Enfin, un chorégraphe défie frontalement la question, sans détour ni métaphore, dans une forme pétillante, entre fausse conférence et danse vraie.

Dans le droit chemin de sa première pièce Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver, présentée au Carreau du Temple en 2018, Sylvain Riéjou poursuit son exploration vidéo-chorégraphique de l’acte de création en partageant l’intimité de ses questionnements d’artiste.

Publiée sur Internet en 2010, sa vidéo-danse Clip pour Ste Geneviève, pourtant chaleureusement accueillie par le public lors de festivals de danse, tombait sous le joug d’une interdiction de circuler sur la toile. Législateur : Dailymotion. Motif invoqué : caractère pornographique.

S’est alors dessinée une interrogation sur les paradoxes de la représentation du corps dans l’art et dans la publicité : pourquoi un corps donné à voir dans toute sa vérité, donc nu, sur un plateau, dans une visée artistique, choque-t-il bien davantage - les enfants comme les adultes - que toute vidéo aux allusions clairement sexuelles, à but commercial ?

Imposant challenge pour un interprète qui a mis des années à abdiquer devant le fantasme de l’Apollon athlétique et ténébreux pour accepter son corps blanc, mince et imberbe, ce nouveau solo tente de démêler la confusion fossile entre nudité et obscénité.

Dans un climat chatoyant d’autodérision, déjouant le parfum de scandale que suscite le nu, Sylvain Riéjou propose son lexique du dénuement et le met en pratique avec son propre corps pour mettre en évidence que c’est là l’acte le plus engagé et engageant du danseur. Il nous rappelle, avec une étonnante pudeur, que toute création artistique est intrinsèquement une mise à nu.

Spectacle inclus dans votre soirée : VACA - Anna Chirescu

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Ensemble ensemble

Entre théâtre et chorégraphie, un ensemble de quatre interprètes, doués dans les deux registres, met en jeu la circulation de la parole comme une architecture mentale aux dimensions insondables.

Dès les premiers instants, tout compte. Chaque micromouvement, le moindre battement de paupière, le rythme propre d’une main qui se tend, tout compte. Comme dans la vie. La pièce décrit ce que le langage crée dans l’espace, cette substance intangible et pourtant quasi-organique, la construction de nos identités par l’oralité, la difficulté de s’exprimer. En vis-à-vis, Vincent Thomasset, pour notre plus grand plaisir, va jusqu’à mettre en scène la perplexité, explorant le large royaume de l’incompréhension, la complexité à transformer des mots reçus en images limpides.

Un vaste réseau de regards entre les comédiens élabore peu à peu une structure à quatre corps qui, dans le même temps, ne font qu’un, au sens où ils sculptent l’espace. L’auteur-metteur en scène a écrit un texte simple, drôle, mais qui, l’air de rien, flirte avec une élégante mise en abîme, provoquant du moins un subtil choc télescopique, à l’instar de son titre. À l’écoute, dans Ensemble Ensemble, il y a « semblant ». En plein milieu. Portée par une création sonore et lumineuse exceptionnelle, la pièce fait apparaître et disparaître les acteurs, donne à entendre la voix des uns par la bouche des autres via un dispositif de doublage en direct : se creusent alors des décalages cocasses entre les voix et les personnes, les personnes et les gestes.

Transportées du son d’un clavecin baroque à l’admirable composition électro de The Noise Consort, la musicalité pure des mots, comme vidés de leur sens, les cacophonies de musique et de voix, de troublantes assonances, les dialogues décousus jusqu’au délire, éploient l’immense panel des formes langagières.

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