C'est un poème d’un amour infini, porté par des interprètes d'une qualité de présence et d'une plasticité visuelle impressionnantes. Ils habitent le plateau sous plusieurs formes (duo, solo, quatuor, sextet), selon un triptyque. Le premier tableau, apocalyptique, évoque ce moment mouvant du deuil, ce temps post-traumatique qui imprime une torpeur au corps abandonné. Le deuxième est l'interprétation figurale en solo d'une lettre à l’absent, “Le soleil sera noir comme le trou dans mon corps.” Enfin, c’est une communauté humaine qui cherche par le corps à ritualiser l’absence et la présence, la solitude et la relation, afin de les transmuter, et à appeler ainsi la lumière par-delà la douleur, sur La Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach.
Une éloquence des images de plateau, une expressivité des rétentions et des gestes traversent la danse. La grande chorégraphe flamande ne se départit pas pour autant de son abstraction lunaire, de l'extrême précision de l'écriture des corps dans l’espace, mêlée de géométrie, de fluidité, de répétition et de minutie, qui constituent sa signature depuis 20 ans.
Ici, dans une symbiose quasi-obsessionnelle, le mouvement est étroitement lié à la composition musicale, notamment à la pulsation rythmique fondamentale de la musique électronique de Mika Vainio, jusqu'à coïncidence parfaite, troublante. On sort de cette pièce comme d'un bel enterrement, émus mais soudés, chargés d'émotions mais allégé par la brise de ce "je t'aime" dansé.
En partenariat avec le festival Faits d’hiver et le Centre culturel suisse à Paris
Avec le soutien de l'Onda - Office national de diffusion artistique
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Planté dans sa boîte à théâtre, navrant et attendrissant pantin, un soldat aboie ses convictions, ou plutôt celles qu'on lui a enfoncées dans le crâne. Toujours au garde-à-vous, cerné de microphones tel un grand orateur, il laisse seules ses lèvres s'agiter, dont sortent par flots les mots de la guerre, de la résignation, de la témérité insensée, de l'aveuglement. Dans sa bouche résonnent l'errance et l'endoctrinement des légionnaires, répétant à coups de cris féroces ce qu'on leur dicte, chants militaires ou devises de guerriers. Sa gorge est un cratère. Celui d'un volcan en éruption déversant une lave d'émotions enfouies qui, à peine jaillies, durcissent au contact de l'air en une forme de slam. Les gestes mécaniques, le regard fixe et hagard disent tout de la perte. Ici pourrait être ailleurs. Et vice versa.
Une performance vocale et physique soulignée par la pertinence du dispositif dramaturgique d'Hubert Colas, simple, drôle, ironique, efficace : mettre en scène le légionnaire en civil, planqué derrière son bosquet de micros à pieds, et faire porter le képi et les fanions au moniteur télé qui retransmet en direct son portrait en plan américain.
Mot caillou, le on scande le texte de Sonia Chiambretto. Car les képis blancs ne sont plus des individus, mais les organes d'un groupe, d'un improbable "on". Venant de toutes origines, ils inventent leur langue à eux, sentimentale, sédimentaire et imagée, qui se resserre autour d'un patrimoine commun, le chant de la peur, de la renonciation, mais aussi de l'espoir et du rêve. D'un sujet délicat et de la matière sonore de cette langue du soldat, qu'elle appelle "langue française étrangère", Sonia Chiambretto extrait un joyau brut.
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Désordre du discours
L’Ordre du discours, texte phare du philosophe Michel Foucault, leçon inaugurale prononcée au Collège de France en 1970, n'a toutefois fait l'objet d'aucune capture, ni sonore, ni filmée. Fanny de Chaillé comble ce vide par le théâtre. Si penser, c'est bouger, comment, réciproquement, redonner corps à une pensée ? L'artiste construit, au sein même d'un amphithéâtre, une performance entre texte réel et fantasme.
L’Ordre du discours est un discours sur le discours, que sous-tend une hypothèse : chaque société régit, régule, organise et contrôle la production du discours. Parce qu'il a une matérialité, contient autant de pouvoirs que de dangers, il est un lieu de luttes et de blessures, de domination et de servitude. Et donc, d'inquiétude. Le philosophe lui-même introduisait sa leçon en partageant sa peur de dire : "Plutôt que de prendre la parole, j'aurais voulu être enveloppé par elle, m'apercevoir qu'au moment de parler, une voix sans nom me précédait depuis longtemps."
Ayant habitué son public à des formats atypiques, Fanny de Chaillé ne fait pas exception à la (non-) règle en confiant cette performance de soliste à Guillaume Bailliart, plongé dans une dialectique effervescente entre le langage et sa manifestation. Sur les bancs de l'université, nous assistons à une véritable métamorphose des écrits foucaldiens en une délicate partition gestuelle et une trame rythmique et vocale soutenue. Elle restitue la parole à la voix, la voix au corps, le corps aux gestes, s'appuie sur le théâtre pour mettre en danger la langue et, plus encore, inverse brillamment la structure du théâtre - des paroles et gestes réels dans un univers fictif - en mettant en scène, dans le cadre impitoyablement réel de la faculté, des mouvements qui parlent une langue fictive.
Une performance entre texte réel et fantasme, un discours sur le discours, autour de "L’Ordre du discours", texte phare du philosophe Michel Foucault !
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Une performance frénétique où se mêlent danse et action painting !-
Deux corps transforment sous nos yeux le décor de leur danse spasmodique, maculant de peinture le sol et les murs. Sur une création musicale haletante, de l'ambiance freak show au body art hypnotique, ce tableau aléatoire en mouvement amène à l'orée de la transe.
Atmosphère japonisante, mais ici point de cliché. Prendre le contrepied des codes, oui, mais pour mieux honorer la danse et son histoire, telle est la ligne de conduite de David Wampach. Figure incontournable de la scène contemporaine, passionné par les rituels, le chorégraphe épuise à outrance chacun de ses sujets, en jouant des opposés, du costume déjanté à la nudité crue, de matériaux affinés en matières premières. Sa démarche, forte d’influences théâtrales et plastiques, se manifeste par des œuvres empreintes d’une grande liberté souvent adossées à une histoire savante.
Par ailleurs, le titre de la pièce provient du courant de l'endotisme initié par Pablo Picasso et Francis Bacon qui, à l'inverse de l'exotisme, s'enracine dans l'originel et dans la nécessité de créer. La pièce revisite ainsi l'héritage de la performance, l'action painting et le mouvement gutaï des années 60, dans le sillage de l’artiste Shuji Terayama, dont le travail polymorphe, directement plongé dans la matière sensible et s'adressant à tous les publics, trouve bien des échos dans celui de David Wampach. Mettre le corps, avec tous ses systèmes, au centre de l’action dansée, à la fois comme matière et support, instrument et sujet, un corps qui transmet, qui transforme, avec un matériau de plus, la peinture, c'est ce que propose ENDO.
À force de réconcilier l'inconciliable, Wampach fait désormais partie de ces rares artistes dont on peut dire qu'ils ont vraiment marié culture savante et culture pop.
Avec le soutien de l'Onda - Office national de diffusion artistique
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L’âge d’or
Ici les gestes les plus beaux, ceux de l'art et ceux de l'amour, ne font qu'un. Conçue avec de jeunes enfants atteints de graves troubles moteurs, cette pièce poignante remet à zéro nos compteurs esthétiques et multiplie notre sens de la danse.
Devant nous, un ordinaire tapis de danse, nu, carré. Tout est à vue. Aucune musique ne vient napper ou influencer nos perceptions. La lumière est la même pour le spectacle et son audience. De part et d'autre du tapis sont installés, pour la plupart en fauteuils roulants, les enfants enjoués ou calmes, aux handicaps patents. Des adultes, les danseurs, déambulent parmi eux avec douceur, leur parlent à l'oreille. La première scène s'installe discrètement : une danseuse emmène un enfant au centre du plateau. Elle prolonge ses gestes, puis les contrarie par moments, les manipule pour les faire danser. L'enfant se concentre mais s'amuse. C'est simple, beau, humble, stupéfiant. S'ensuit dès lors une série de piécettes pour corps affaiblis, anormaux : chaque enfant devient le nombril du corps dansant qui l'entoure et l'accompagne dans un ventre imaginaire, où tout est possible.
Nous voyons des enfants ravis, nous sentons leurs cœurs qui palpitent entre ces mains, ces corps experts, de ces mouvements inespérés. Chacun à son tour est le danseur principal, porté, suspendu, entraîné, bercé ou jeté dans les airs, dansant et dansé, perplexe ou combatif, l'étoile d'un instant, considéré dans, avec, par et pour ses empêchements uniques et spécifiques, tandis que les autres jeunes interprètes jubilent devant le spectacle de leur camarade. L'émotion qui émane du plateau irradie absolument la salle. Éric Minh Cuong Castaing, connu pour son travail à la fois profondément humain et, du point de vue dramaturgique, pour son utilisation intelligente des ressorts de nos techniques numériques, fait ici le choix de n'être que dans la sphère de la vie, inventant une forme d'humanité augmentée.
À l'issue de la pièce, à contempler : le film qui retrace l'expérience chorégraphique menée par les danseurs et ces enfants. Le film capture l’émotion des enfants engagés dans une danse commune, en éternelle négociation avec leurs corps insoumis à la vie et, a fortiori, à la représentation. Plus qu’un témoignage, le film, restituant des mois d’intervention du danseur-chorégraphe au sein d’un institut médical spécialisé, fait œuvre par lui-même.
Une pièce poignante d'Éric Minh Cuong Castaing avec de jeunes enfants atteints de graves troubles moteurs, qui remet à zéro nos compteurs esthétiques et multiplie notre sens de la danse !
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Gravitant autour d'un même centre, la marche s’accélère en tournoyant, dévoilant la mécanique d’une relation à deux. Le mouvement constant se meut en une partition captivante, rigoureuse et fragile, composée de courbures, d'entrelacs et d'ondulations, selon le motif chorégraphique répétitif qui continue d'évoquer un déplacement sur une longue distance en décrivant un cercle. Chaque posture paraît découler naturellement de la précédente et déterminer la suivante, comme dans la vie. Des formes fugaces émergent le long de cette trajectoire en orbite, révélées et soulignées par la création subtile de l'univers musical et lumineux. Peu à peu s'estompe la limite entre les deux corps, jusqu'à disparaître tout à fait. Les mains touchent les épaules, le visage de l'autre. Ils se fondent délicatement en un seul corps, sans plus d'altérité.
Si en résulte pour le spectateur une danse plus voluptueuse que "savante", il s'agit pourtant bien dans sa genèse d'un long laboratoire d'expérimentation. En témoigne l'impeccable précision, digne d'une Anne Teresa De Keersmaeker, dans la symétrie ou l'asymétrie, la synchronicité et les variations gestuelles. C'est aussi là le fruit d'une recherche plus vaste sur le mouvement perpétuel et l'évolution de la matière. L'effervescente curiosité physique, technique, scientifique et artistique qu'ont en commun les deux artistes trouve ici son éclosion dans l'invention d'un vocabulaire chorégraphique d'exception.
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Horizon des particules
Circassiens, danseurs et artistes de l’envol défient les lois de la gravité sur un terrain de jeu aérien. Un voyage spectaculaire et magnétique, à haut degré de persistance rétinienne.
Saluée dès le début de sa carrière pour l'équilibre extrêmement subtil qu'elle a su trouver entre onirisme et prouesse technique, Raphaëlle Boitel réalise ici une pièce unique pour le Carreau du Temple à l'occasion des Traversées du Marais, cheminant cette année sur le thème du voyage. Tout commence dans un souffle, à peine perceptible. Au sol ou en suspension, les six interprètes se croisent ou s'échappent, au gré de leurs rêves, dans un espace où tout est possible, jusqu'à l'extrême.
De la naissance à la mort, la vie est un voyage, une aventure. Au loin, il n'y a que l'horizon, cette limite entre le connu et l’inconnu, qui recule à mesure qu'on l'approche. Cette limite, cet infini, la metteure en scène l'observe, comme à son habitude, depuis son point de mire : une conscience aiguë de la finitude humaine autant que de son potentiel inouï de vitalité, une crête entre hardiesse et fragilité, puissance et risque. Elle puise dans les techniques et son amour du cirque pour créer une chorégraphie aérienne hybride et cinétique, sauvage et émouvante.
Les Traversées du Marais
Les Traversées du Marais est un parcours festivalier impulsé par une trentaine d'acteurs importants du Haut et du Bas Marais pour mettre chaleureusement en lumière la cohésion, l'histoire et les monuments de ce territoire singulier, si fréquenté. Quand l'occasion nous est offerte de déambuler entre ces lieux magiques et emblématiques, pour y admirer des pièces d'artistes de renom, parfois créées en exclusivité, le plaisir n'est pas double, mais décuplé ! Comme chaque année, les opérateurs ont accordé leurs violons autour d'un fil directeur, cette fois-ci celui du voyage, qu'il soit tout simplement spatial, ou bien temporel, voire onirique. Les artistes y racontent ou inventent un lien au monde. Celui de Raphaëlle Boitel est cosmique.
Atelier "Initiation à la danse Jumpstyle"
Le spectacle sera suivi d'un atelier "danse Jumpstyle" en partenariat avec la Gaïté Lyrique, de 17h à 18h30. Cet atelier, encadré par des danseurs professionnels, permet de s'initier au Jumpstyle, une danse post-internet qui consiste en une succession de sauts sur un tempo accéléré.
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Pas d’agitation
Olga Roriz, référence internationale depuis plus de 20 ans de la danse contemporaine portugaise présente une performance-installation de danse et de vidéo en direct, interprétée par quatre danseurs et un artiste visuel. Thème d’inspiration de cette création, la mer contamine tout l’environnement plastique et sonore. La côte de l’île de São Miguel devient le paysage privilégié du contenu des images projetées.
Une performance-installation de danse et de vidéo d'Olga Roriz, référence internationale de la danse contemporaine portugaise, dans le cadre de la saison France-Portugal 2022.
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counting stars with you (musiques femmes)
Artiste majeure de la scène chorégraphique d’aujourd’hui, Maud Le Pladec s’entoure de six interprètes aussi talentueux·ses par leur capacité vocale que leur langage corporel pour réaliser une œuvre puissante dédiée aux femmes compositrices.
Les interactions entre corps et musique ont toujours été au cœur du travail de Maud Le Pladec. Ici, elle interroge très directement la (non) place des femmes dans l’histoire de la musique, convoquant un somptueux corpus d’œuvres méconnues et pourtant emblématiques d’un « matrimoine » musical. C’est alors une histoire secrète de la musique qui s’écrit, avec une contagieuse volupté à parcourir un spectre allant du chant choral à la musique électro de Chloé.
L’artiste met en crise nos chers concepts de répertoire et de filiation, questionne nos rapports aux modèles esthétiques dominants et signe en ce sens une pièce manifeste. Mais c’est sans amertume ; à l’inverse, l’énergie du militantisme draine une joie fraîche, un plaisir à donner un nouveau souffle à ces œuvres dissidentes. En leur faisant porter la transmission invisible entre cet héritage de l’ombre et le féminisme ou la musicologie lesbienne et queer, Maud Le Pladec invente une nouvelle façon d’engager les corps.
Une série de podcasts avec l'équipe artistique du spectacle (notamment Maud Le Pladec, Chloé, Lucie Antunes) est écoutable ici.
BORD DE PLATEAU : À l’issue de la représentation du vendredi 14 avril, une rencontre est organisée avec Maud Le Pladec et Anne-Flavie Germain de l’association Futur Composé (Réseau national de la création musicale) qui échangeront autour de la place des femmes compositrices dans la musique contemporaine.
Durée : 45min
Un manifeste chorégraphique et musical de Maud Le Pladec dédié aux femmes compositrices !
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Bouillir le vide, un récital
La représentation du jeudi 23 avril 2022 est malheureusement annulée. Pour ceux·celles qui ont réservé des places, nous vous invitons à contacter directement la billetterie pour remboursement ou échanges. Nous vous remercions pour votre compréhension.
Après UNDATED présenté au Carreau du Temple en 2019, pièce chorale qui revisitait son parcours artistique de vingt-cinq années, Martine Pisani ravive ici la fraîcheur des débuts en écrivant un solo pour Christophe Ives à la manière d’une avalanche de nouveaux départs.
Conjuguer « bouillir le vide » à tous les temps et à toutes les personnes… Mais quel vide ? Existentiel, politique, spatial, social, intime ? Alternant les postures figées par l’effroi ou emportées par une furieuse envie de tout ébouillanter, le soliste enchaîne une suite de débuts sur une partition dont la chorégraphe a le secret, mêlée de théâtre et de danse, flirtant avec le mime et le clown. Entre attitudes incongrues, vacillements, décalages cocasses, jeux entre les pleins et les vides, apparitions et disparitions, c’est tout l’univers burlesque contemporain de Martine Pisani qui se déplie.
Avec son amour du jeu d’enfants, son traitement constant des sources – son, environnement, corps, objets -, son goût du « presque rien » et son talent pour s’adresser au spectateur d’égal à égal, l’artiste nous dit encore et toujours que partout où il y a mouvement, il y a danse.
Un solo captivant pour Christophe Ives qui déploie tout l’univers burlesque contemporain de Martine Pisani !
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